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« Le design n’est pas une discipline élitiste » : Entretien avec Inga Sempé

Cette semaine, nous avons  eu l’insigne honneur de poser nos questions à Inga Sempé. Après avoir été la maîtresse de cérémonie de la Design Parade, celle qui s’est imposée parmi les plus grands noms du design présente Tutti Frutti, rétrospective (et première exposition depuis 15 ans) se tenant à la Villa Noailles d’Hyères (Var). Fille du dessinateur français Jean-Jacques Sempé (Le Petit Nicolas) et de Mette Ivers, figure renommée de l’illustration jeunesse ayant travaillé sur la série des « J’aime Lire »,  Inga Sempé se tourne très jeune vers la création. Elle sort ainsi diplômée de l’École Nationale Supérieure de création industrielle en 1993 et commence à se former auprès du designer australien Marc Newson (Hermés, Vuitton, Montblanc), récente recrue de l’équipe Design d’Apple.  Elle collabore également avec Andrée Putman (Prix du Meilleur Designer en 2009, Chevalier de la Légion d’Honneur en 2008) durant deux années.

C’est en 2002 qu’elle créera sa première agence et se verra récompensée la même année du grand prix du design par la ville de Paris. Son style affirmé, elle travaillera par la suite avec Capellini, Edra , Tectona, Baccarat ou encore Ligne Roset pour qui elle crée le canapé à couette intégrée Ruché. Plus reconnue à l’international qu’en France, notamment en Suède où elle est une véritable icône, Inga Sempé reçoit le titre de designer de l’année à Stockholm en 2012

Bonjour Inga Sempé, quelles sont pour vous les principales problématiques du métier de designer aujourd’hui ?

En France, le fait est que les entreprises n’ont pas du tout pour habitude de faire appel aux designers contrairement à d’autres pays proches de nous comme l’Italie ou la Scandinavie. De plus, le fait que la fabrication ne se fasse plus, pour pleins de techniques, ni en France, ni même en Europe dématérialise le métier de designer, alors qu’il est pourtant important d’aller dans les usines. Toujours en France, on souffre de la méconnaissance de l’état pour notre discipline, ce qui fait que nous n’avons pas de statut adapté à notre pratique. Les designers indépendants sont obligés de magouiller pour être à la maison des Artistes – le design n’y est pas admis – en camouflant leurs activités en se faisant passer pour des illustrateurs ou des sculpteurs (alors que les graphistes et designers textiles sont admis). Il est donc difficile de vivre de son métier en France.

Quelles sont les contraintes techniques et économiques de la production en série ?

Les principales contraintes sont liées au coût final de l’objet en magasin : il ne faut pas qu’il soit trop cher par rapport à ce que propose la concurrence, et même si de nombreuses techniques extraordinaires existent, si elles coûtent trop chères, l’objet sera invendable.

 

 

Quelle est votre approche du design ?

Je pars toujours de la fonction d’un objet en imaginant un corps sans age, ni sexe, ni milieu particulier qui va être amené à l’utiliser. En parallèle, j’ai toujours en tête les contraintes liées à sa fabrication industrielle. Je me demande à ce moment là si l’objet me plaît et ,en même temps, si son usage est aisé.

Quelles valeurs défendez-vous au travers de votre travail ?

Je ne travaille qu’avec des entreprises qui produisent des objets de qualité, je ne souhaite pas créer beaucoup de choses, mais juste quelques objets par an sur lesquels je travaille à fond. Je privilégie la qualité à la quantité.

Votre exposition « Tutti Frutti » se déroule actuellement à la Villa Noailles : pouvez-vous en dire un peu plus à nos lecteurs, que peut-on y trouver ?

Cette exposition a pour but de montrer le travail derrière chaque objet produit : maquette, croquis et objets finalisés sont mêlés. J’ai fait beaucoup d’objets articulés, et certains sont ainsi présentés en mouvement. J’ai souhaité faire une exposition vivante à l’opposé d’expositions de design muséale et figée. J’avais envie de montrer que le design n’est pas une discipline élitiste qui ne concernerait que certains objets de salons médiatisés par une presse de luxe, mais que le design concerne tous les objets produits, du canapé au tournevis, de la lampe à la roulette.